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Issu de "Peintures murales des églises de la Grande-Lande" (de Jean-Pierre Suau et Michelle Gaborit)
Issu de "Peintures murales des églises de la Grande-Lande" (de Jean-Pierre Suau et Michelle Gaborit)
En 1957, année du classement de l’église de Vieux-Lugo parmi les Monuments historiques, l’abbé Brun, dans ces Églises de la Gironde, présentait ainsi ce site pittoresque : « Dans un site attirant à souhait, après un gué, au milieu des prairies, à l’extrémité d’une allée plantée de chênes séculaires, on y trouvera, au centre d’un ancien cimetière, l’antique église de Lugo, dédiée à saint Michel ».
L’église de Lugo (Vieux-Lugo) s’élève aujourd’hui sur un tertre sableux, cerné par un environnement boisé mais, il y a donc peu de temps encore, ce promontoire isolé se dressait au milieu d’une étendue de prairies nourries par les eaux de la Leyre et du ruisseau de Lugo. De nos jours, au cours des périodes de pluies abondantes, il arrive que la butte se trouve isolée par les eaux.
Aujourd’hui placée sous le vocable de Saint-Michel, l’église de Vieux-Lugo était autrefois consacrée à la Vierge ; la titulature de Notre-Dame est attestée par les registres paroissiaux du XVIe au XVIIIe siècle. La première mention connue de Lugo remonte, quant à elle, à 1274 (affars de Lugor). Par ailleurs, les sondages archéologiques réalisés en 1999, à proximité immédiate du chevet, permettent de connaître un état ancien du cimetière qui jouxtait l’église ; les sépultures qui ont été dégagées avaient été creusées dans le sédiment sableux, à plus de 50 cm de profondeur : inhumations en pleine terre, en cercueil de bois ou en linceul, datées entre le XIIe et le XVIe siècle. L’architecture de l’église témoigne de cette histoire qui court au moins depuis le XIIe siècle ; son observation permet de discerner les aménagements successifs.
Les maçonneries sont composées de moellons assez réguliers, taillés dans un grès ferrugineux que l’on nomme garluche. Cette roche locale extraite des bancs d’alios situés dans le sable des landes, est suffisamment résistante pour avoir été utilisée régulièrement comme matériau de construction, au moins depuis le Moyen Âge et jusqu’à l’époque contemporaine. Par ailleurs, riche en sels de fer, la garluche fut aussi exploitée comme minerai et plusieurs forges ont été découvertes qui attestent de cette activité dans la région au moins depuis le XIIIe siècle et jusqu’au XIXe siècle. Ici, l’emploi permanent de cette maçonnerie dans l’ensemble de l’édifice, quelles que soient les époques, donne à ce dernier l’allure d’une architecture homogène, construite en un seul chantier. Mais, une observation précise permet de décomposer les phases chronologiques qui ont conduit à l’édifice actuel, dont les traces les plus anciennes encore visibles remontent à la fin de la période romane. On ignore tout pour autant de l’occupation du sol antérieurement à la construction de cette église romane.
Les historiens de l’art s’accordent pour reconnaître ici une église présentant les caractéristiques formelles d’une architecture de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle. Elles sont à rapprocher des dispositions architecturales mises en œuvre au prieuré hospitalier de Saint-Pierre-de-Mons (commune actuelle de Belin-Béliet), dont dépendait Notre-Dame de Lugo et qui fut fondé à l’époque romane sur un des nombreux chemins conduisant vers Saint-Jacques de Compostelle.
On entrait dans cette église par une porte abritée sous un proche, adossé à la façade occidentale de la nef. Cette façade possédait vraisemblablement un clocher-mur, dont pourrait témoigner l’imposte conservée dans la partie occidentale du mur nord de la nef actuelle, qui date de cette époque pour l’essentiel. Il s’agissait d’une nef unique de plan rectangulaire et couverte d’une charpente, à peu de choses près celle-là même que nous connaissons aujourd’hui. L’ouverture rectangulaire et étroite percée dans la partie haute du mur sud de la nef, immédiatement à gauche du contrefort central actuel, est peut-être un témoignage du dispositif d’éclairage primitif ; il est possible en effet que la fenêtre rectangulaire actuelle, probablement aménagée à la fin de la période gothique, soit venue remplacer une baie romane.
La nef ouvrait, par un arc triomphal brisé, sur un chevet de même largeur mais élevé plus haut que la nef ; le niveau du sol est ici également surélevé par rapport à celui de la nef. Ce chevet est composé d’une courte travée droite, voûtée d’un berceau brisé conduisant à une abside en hémicycle couverte d’un cul-de-four. Deux fenêtres romanes, fortement ébrasées, talutées vers l’intérieur à leur base et surmontées d’un cintre en arc brisé, sont encore visibles dans les murs nord et sud de la travée droite. La seconde baie percée dans le mur nord de la travée droite, quant à elle, n’est pas médiévale. L’abside était, elle, éclairée au moins par une fenêtre d’axe, dont les formes devaient correspondre à celles des deux baies de la travée droite ; comme toutes les fenêtres de l’édifice primitif, elle fut transformée depuis.
À l’intérieur, les pilastres, les arcs et les éléments de sculpture, en calcaire, contrastent avec la maçonnerie de garluche. L’absence d’images sculptées et l’emploi d’impostes à la retombée des arcs, au lieu de chapiteaux, incitent à dater cette construction de la fin de la période romane.
À la fin du Moyen Âge les voûtes romanes du chevet subirent des transformations destinées à les consolider et les alléger ; ces modifications ne transformèrent pas fondamentalement leur profil, mais les arcs et leurs assises furent repris et des contreforts bâtis en garluche furent implantés pour épauler les murs de la nef et du chevet. C’est probablement à cette occasion ou un peu plus tard, que la fenêtre d’axe de l’abside fut modifiée et que fut aménagée la fenêtre haute percée dans le mur sud de la nef ; elles présentent toutes deux en effet des formes semblables aux fenêtres de la tour-clocher.
Or, c’est à la fin de l’époque gothique, vraisemblablement à la fin du XVe siècle par comparaison avec la tour de Saint-Pierre de Mons, que la tour-clocher de Lugo fut construite en lieu et place du porche roman ; la tour a été plaquée contre l’ancienne façade, qui a été percée d’un grand arc brisé. Les sondages archéologiques effectués en 1999 ont permis de vérifier que les fondations de la tour-clocher prennent appui sur les angles de la façade occidentale de l’église romane. Ce volume massif fut épaulé par des contreforts d’angle. Les deux baies en décalage oblique ouvrant au sud devaient éclairer l’escalier qui aboutissait à un premier étage situé au-dessus du grand arc brisé qui fait communiquer la tour avec la nef. La porte actuelle, aménagée dans le mur sud de la tour, était complétée par une autre porte, située au nord, dont les claveaux forment un jeu de bichromie blanche et rouge ; cette dernière fut vraisemblablement murée au cours de l’époque moderne.
Enfin, on peut aussi dater de la fin du XVe siècle la réalisation de l’ensemble peint qui couvre les parois intérieures de la nef et du chevet et sur lesquelles nous revenons en détail par ailleurs.
C’est vraisemblablement au XVIIe siècle seulement que furent percées les deux grandes fenêtres latérales de l’abside ; elles présentent des remplages gothiques et sont construites dans un calcaire blanc entrant dans un contraste fort avec la couleur rouille de la garluche. Une telle survivance du gothique n’est pas exceptionnelle, comme en témoignent, notamment, les travaux commandités par Arnaud de Pontac à la cathédrale de Bazas, au début du XVIIe siècle. Toujours au XVIIe siècle, en 1643, une nouvelle cloche fut fondue, celle-là même que vous pouvez encore faire sonner et entendre aujourd’hui.
Par la suite, les transformations furent plus modestes. Au XVIIIe siècle, on flanqua le mur sud de la travée droite d’une annexe en hémicycle qui fait office de sacristie. On situe également à cette époque le bouchage de la porte nord ; la porte actuelle, au sud, était quant à elle, au moins depuis le XIXe siècle, abritée par un porche, connu par un dessin et des photographies anciennes et dont on peut encore observer les traces d’implantation dans le mur. Les remaniements successifs de la charpente de la nef imposèrent un abaissement d’environ 40 cm de la hauteur des murs de la nef, que l’on peut apercevoir grâce à la composition du décor peint. Enfin, en 1839, quatre fenêtres aux arcs brisés qui s’inspirent des embrasures des grandes baies du chevet, furent relancées dans les murs de la nef pour améliorer l’éclairage.
Ces dimensions modestes font de cette église le lieu de culte d’une petite communauté d’un peu plus d’une centaine de personnes, peut-être cent-cinquante (une vingtaine de foyers). La proximité des chemins de Saint-Jacques et du prieuré hospitalier Saint-Pierre de Mons devait augmenter au Moyen Âge la fréquentation du lieu. Le progressif éloignement des populations de Lugo à partir de la seconde moitié du XVIe siècle n’entraina pas l’abandon de cette église ; on apprend ainsi par les registres paroissiaux que les inhumations ont été pratiquées dans le cimetière situé autour de l’église et dans l’église elle-même, au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Par ailleurs, les travaux du XVIIIe siècle et le percement de baies en 1839 conduisent à penser que l’église était encore un lieu de culte fonctionnel dans le deuxième quart du XIXe siècle. Puis, la paroisse ayant été transférée dans le nouveau bourg de Séouze, à l’emplacement actuel du village de Lugos et une nouvelle église ayant été construite en 1848-1849, la vénérable église du désormais Vieux-Lugo fut désaffectée et le cimetière partiellement transféré dans le nouveau bourg. La nouvelle église paroissiale fut dédiée à Notre-Dame, tandis que l’ancienne le fut alors à saint Michel.
Lorsque Léo Drouyn vint à Lugo en juillet 1856, il y trouva la vieille église fermée et isolée au milieu des bois. Il observa alors que les fenêtres de la nef avaient été transformées en 1839, d’après une date gravée sur le mur sud de la nef, encore visible aujourd’hui. Il fit un croquis de la baie située dans le mur sud de la nef, près du deuxième contrefort et un dessin d’une vue générale de l’édifice. Emilien Piganeau et Auguste Brutails vinrent également à Lugo dans la seconde moitiés du XIXe siècle ou au tout début du XXe siècle. Le premier nous laisse de cette visite un dessin représentant une vue générale de l’église depuis le sud ; Auguste Brutails, ainsi que Félix Arnaudin qui vint à Lugo en 1908, nous ont transmis des clichés photographiques similaires, qui nous maintiennent à l’extérieur de l’édifice.
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