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Les peintures murales de l’église du Vieux Lugo
Introduction
L’ancienne église paroissiale Notre-Dame de Lugo, comme de nombreux édifices, a reçu des peintures murales au cours du Moyen Âge. Plusieurs peintures se sont succédées ici ; nous pouvons en observer au moins deux dans la nef et également deux dans le chevet pour la période médiévale. À celles-ci s’ajoutent les badigeons de chaux qui se sont succédés, recouvrant et faisant oublier les peintures médiévales, dès lors que ces dernières n’ont plus fait sens, au gré de l’évolution des sensibilités, du dogme, des transformations architecturales…
Une particularité de Notre-Dame de Lugo est qu’elle possède un ensemble peint complet, cohérent du point de vue iconographique, dont la lecture continue débute dans la partie occidentale de la nef et s’achève dans l’abside. Cet ensemble correspond au second décor conservé dans la nef et au premier décor conservé dans le chevet ; il est daté de la fin du XVe siècle, époque à laquelle fut construite la tour-clocher, furent consolidées les voûtes du chevet et raidi par des contreforts l’ensemble des murs de l’église.
Cette datation se fonde d’une part sur le style qui s’exprime dans cette peinture (proportions et postures des personnages et des objets représentés, costumes, coiffes, architectures, motifs végétaux, graphie des écritures…). D’autre part, l’emploi ici du pochoir, procédé pictural fréquemment utilisé pour les motifs répétitifs à la fin du Moyen Âge, va dans le sens de la datation proposée. Une lecture archéologique de cet ensemble peint va également dans le même sens : la présence ou non des couches picturales sur certaines parties de l’édifice permet de caler l’exécution des peintures au regard des aménagements des murs, des baies, etc. et de leur datation.
Redécouverte des peintures et état de conservation
C’est en 1955 que l’abbé Thomas redécouvrit l’existence de peintures murales à Vieux-Lugo. Ces dernières, pour une part, furent relevées par J.-M. Berteaux pour le compte du Musée des Monuments Français l’année suivante. La mise au jour de cet ensemble important entraîna ensuite le classement de l’édifice parmi les Monuments historiques dès 1957. Depuis, en 1992-1993, les peintures situées dans le chevet ont été dégagées des badigeons de chaux postérieurs et consolidées, par Jacques Joos. Les peintures de la nef, quant à elles, n’ont bénéficié d’aucune restauration pour le moment.
L’état général est très dégradé et très lacunaire, du fait notamment de l’évolution architecturale du lieu, les réaménagements successifs des fenêtres ayant causé la disparition d’une part significative des peintures. Nombre de couleurs ont aussi été perdues au cours du temps, en raison même de la technique picturale employée : il s’agit ici d’une technique à sec, très fréquemment employée en France au moins entre le XIIe et le XVIe siècle, dans laquelle les pigments sont appliqués sur un enduit sec et ne sont donc pas protégés par une couche superficielle, par opposition à la technique de la fresque (a fresco : sur enduit frais), avec laquelle une couche protectrice de calcaire se forme en surface. Ici les pigments se trouvent soumis depuis le XVe siècle aux agressions environnementales, essentiellement l’humidité, la lumière et les frottements, qui selon les cas font virer les couleurs sous l’effet d’une oxydation ou font disparaître les pigments par action mécanique ou, dans le cas de pigments organiques ou végétaux, ingérés par divers organismes. Les pigments qui échappent à cette dégradation sont généralement les pigments d’origine minérale.
Ainsi la couche picturale est aujourd’hui lacunaire et limitée aux couleurs ocres, au noir et au blanc, ce qui perturbe notre perception de ces œuvres ; les modelés ont disparu et, parfois même, les personnages ne sont plus lisibles ou à peine reconnaissables à travers des formes fantomatiques.
Pour autant, la composition générale reste lisible et les motifs pour une part également. Les relevés partiels effectués en 1956 contribuent à faciliter cette lecture et les comparaisons sont possibles avec d’autres ensemble peints dont le sujet est proche ou similaire, dans des édifices de la Grande-Lande et plus largement en Gironde.
L’ensemble peint de la fin du XVe siècle
Les peintures murales et l’édifice qui les accueille sont indissociables, l’architecture servant de support aux peintures. Ils se complètent aussi réciproquement d’un point de vue fonctionnel : les peintures s’enrichissent du sens que leur confère leur emplacement dans l’édifice et, dans le même temps, elles nourrissent ce lieu en le structurant et en ajoutant du sens aux différents espaces.
La répartition des images médiévales peintes ou sculptées dans une église, leurs proportions ou encore la façon dont elles sont disposées dans l’architecture qui les abrite, obéissent et participent à la dynamique axiale dont est animé l’espace interne d’une église. Ce mouvement part progressivement de la nef, espace des laïcs et lieu où est illustrée la vie terrestre, pour aboutir au chevet, qui abrite le sanctuaire, l’espace des clercs où figurent les images du monde céleste.
L’église de Lugo offre la particularité d’avoir conservé l’ensemble d’une composition picturale dont le récit débute dans la nef pour s’achever dans l’abside. La narration débute au niveau de la fenêtre la plus occidentale de chaque mur gouttereau de la nef. Dans un mode de composition propre aux peintures murales gothiques, plusieurs registres, ici trois, sont superposés sur chaque mur. Seuls les deux registres inférieurs sont historiés et se poursuivent sur le mur perpendiculaire marquant l’entrée du chevet. Au sud, le registre inférieur est animé d’oiseaux et de motifs végétaux, le registre médian accueille une Cavalcade des péchés mortels. Au nord, le registre inférieur porte la Rencontre des trois morts et des trois vifs, le registre médian les Œuvres de Miséricorde. Le registre supérieur, quant à lui, est ponctué de grandes fleurs aux pétales rouges. La lecture s’opère selon un axe ouest-est (de la nef vers le chevet), avec au nord une iconographie illustrant le parcours que les hommes sont enjoints à suivre pour vivre une vie bonne, tandis que le mur sud les alerte sur les vices du monde terrestre. Ces éléments du récit portent donc sur la vie terrestre des fidèles, dans le lieu de l’église qui leur est dédié : la nef.
Le récit se poursuit dans le chevet, composé d’une travée droite et d’une abside. Les arcs qui portent les voûtes séparent la nef du chevet et la travée droite de l’abside. La corniche qui court à la retombée des voûtes dessine une horizontale qui sépare les voûtes du mur placé à hauteur d’homme. Ces éléments architecturaux constituent le cadre qui structure la composition picturale, tandis que la peinture renforce certains le sens de ces espaces. Les arcs sont ainsi mis en valeur par des bandeaux à motifs géométriques (rubans pliés et treillis). Un cadre rigoureux est établi dans le chevet, lieu dévolu à l’officiant, espace privilégié de l’église, le sanctuaire à proprement parlé. Ici, la composition picturale répond à plusieurs logiques complémentaires, dans lesquelles les scènes et les personnages les plus importants de la composition sont disposés au centre, dans l’axe de l’église, en hauteur et dans des proportions plus grandes.
Le Jugement dernier occupe la place la plus importante ; dominant entièrement le sanctuaire, il se développe sur le cul-de-four de l’abside, dans l’axe de la nef, avec au centre, de face, le Christ-juge en majesté. Ce Jugement dernier est accompagné par le Collège apostolique, réparti sur les murs de la travée droite et dans l’abside, sous la corniche, à hauteur des spectateurs ; les Symboles des évangélistes, quant à eux, occupent le sommet de la voûte de la travée droite. Les retombées de cette voûte sont occupées respectivement par le Paradis et l’Enfer, dans le prolongement des thèmes traités dans la nef. Ainsi, les conséquences des Péchés qui défilent sur le mur sud de la nef sont dénoncées dans la retombée sud de la voûte de la travée droite ; le Salut à venir est illustré au nord comme conséquence des actes de Miséricorde et de repentir donnés en exemple sur le mur nord de la nef.
Les autres peintures
Dans la nef, une peinture antérieure est conservée partiellement et représente, pour ce que nous pouvons en voir, une draperie composée de bandes verticales alternativement bleues, jaunes et rouges, placée en partie basse du mur. Ce motif peut être observé dans nombre de peintures conservées dans des églises, au moins pour la période gothique.
Dans le chevet, la peinture immédiatement postérieure à l’ensemble qui nous intéresse représente un appareillage de pierres régulier et tracé en rouge sur un fond blanc ; par endroits, notamment au revers de l’arc triomphal, au-dessus de la baie d’axe et dans le fond de l’armoire liturgique, ce quadrillage très rigoureux est complété par des motifs végétaux et architecturaux très librement tracés en rouge. Ce décor peut être daté du XVIe siècle, peut-être du XVIIe siècle, mais avec certitude avant la mise en place des grandes fenêtres d’inspiration gothique, dont les pierres ne comportent aucune trace de polychromie.
Dans la tour, on peut aussi observer des traces de peintures, vestiges si lacunaires qu’il n’en constituent qu’un souvenir à peine discernable
Références
Mesuret R., Les peintures murales du Sud-Ouest de la France du XIe au XVIe siècle. Languedoc, Catalogne septentrionale, Guienne, Gascogne, Comté de Foix, Paris, A. & J. Picard & Cie, 1967, p. 102-103
Roudié P., L’activité artistique à Bordeaux, en Bordelais et en Bazadais de 1453 à 1550, Bordeaux, SOBODI, 1975, vol.1, p. 423
Suau J.-P. et M. Gaborit, Peintures murales des églises de la Grande-Lande, Bordeaux, Confluences, 1998, 165-175
"Les peintures murales de l'église du Vieux Lugo" de Pascal Ricarrère-Caussade est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Ressource : https://vieux-lugo.com/leglise/ses-peintures/.